Rapport final
Les Assises européennes de la diversité culturelle se sont tenues à Varsovie du 3 au 5 juin 2004 à l’initiative conjointe des Commissions nationales polonaise et française pour l’UNESCO, sous le patronage des Ministres de la culture de France et de Pologne. La Commission nationale polonaise pour l’UNESCO et la Commission nationale française pour l’UNESCO ont été co-organisateurs de la conférence. L’Organisation internationale de la Francophonie et la Commission suisse pour l’UNESCO ont apporté leur soutien à son organisation. Les débats se sont déroulés au Château Royal de Varsovie et à l’hôtel « Sofitel Victoria Warsaw ». Le calendrier de la conférence figure en annexe (No 5).
L’objectif des Assises était d’élargir la portée du débat sur les problèmes liés au concept de la diversité culturelle et de chercher à identifier le champ de convergence d’opinions sur des moyens et des mécanismes de protection et de promotion de la diversité culturelle. La question fondamentale portait sur des conditions permettant aux Etats de mener une politique efficace dans le domaine de la promotion et la protection de la diversité culturelle. La Déclaration universelle de la diversité culturelle et les travaux des experts sur un instrument contraignant, en l’occurrence la convention de l’UNESCO sur la protection de la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques, servaient de cadre de référence à ce débat. Les représentants de 28 pays européens, des Etats-Unis et du Canada, ainsi que des pays des autres régions du monde y ont participé. La liste des participants est jointe en annexe (No 6).
Les Assises faisaient partie du débat public à la veille des consultations intergouvernementales sur la future convention de l’UNESCO. Elles se sont tenues juste après l’achèvement des travaux du groupe d’experts convoqué par Koïchiro Matsuura, Directeur général de l’UNESCO en vue de l’élaboration d’un avant-projet de convention. Les Assises, organisées à l’initiative des Commissions nationales pour l’UNESCO, ne prétendaient ni à se substituer au débat des experts, ni à devenir un forum des consultations intergouvernementales. Elles ont servi de cadre à un échange d’opinions et ont permis de relever des différents points de vue. Le débat proprement dit eut lieu dans le cadre de trois Tables rondes dont les rapports sont présentés en annexes (Nos 1, 2, 3). D’une manière générale, un rapprochement des positions et une certaine harmonisation des opinions différentes se sont fait remarquer. Plus particulièrement, il a été reconnu que sur chaque Etat repose la responsabilité de soutenir la culture sur son territoire, que des produits culturels possèdent une double nature : économique et culturelle et qu’il apparaît un besoin urgent d‘établir une solidarité internationale dans le domaine de la culture.
Séance plénière d’ouverture
M. Andrzej Rottermund, Directeur du Château Royal à Varsovie et M. Tomasz Or³owski, Secrétaire général de la Commission nationale polonaise pour l’UNESCO ont souhaité la bienvenue aux participants. M. Jean Favier, Président de la Commission nationale française pour l’UNESCO et M. Jerzy K³oczowski, Président de la Commission nationale polonaise, ont présidé la séance d’ouverture.
M. Andrzej Rottermund et M. Tomasz Or³owski ont évoqué le caractère du lieu où se tenait la cérémonie d’inauguration. Le Château Royal à Varsovie, ancienne résidence des rois et du parlement est aujourd’hui un musée vivant qui réalise une mission éducative démontrant le caractère multiculturel de la société dans le passé, et notamment celle de la Res Publica des Deux Nations (Etat constitué par le Royaume de Pologne et le Grand-Duché de Lituanie). Les projets mis en oeuvre concernent, entre autres, les écoles juives sur le territoire de l’ancienne Res Publica, la vision de l’homme et du citoyen dans les écoles orthodoxes et l’éducation civique dans les écoles protestantes. De nombreux projets relatifs à la protection du patrimoine culturel et l’identité culturelle sont en cours de réalisation. Il est à noter que le Château Royal à Varsovie fut le lieu de l’adoption de la première Constitution en Europe (3 mai 1791). Tout récemment, dans ses jardins eut lieu la cérémonie célébrant l’accession de la Pologne à l’Union européenne. L’ouverture des Assises inaugurait le débat public qui, comme l’a souligné M. Tomasz Or³owski, pourrait être utile aux gouvernements des pays représentés.
M. Jean Favier a souligné qu’aujourd’hui la question de la diversité culturelle, dont l’importance est reconnue par tous les Etats membres de l’UNESCO, plus que jamais incite à un débat approfondi. Les Commissions nationales française et polonaise ont souhaité ouvrir ce débat. Il a constaté que la diversité culturelle est un projet phare pour l’UNESCO et une priorité pour la France. C’est M. Jacques Chirac, Président de la République française, qui, lors du Sommet de Johannesburg, a lancé un appel à élaborer une convention internationale sur la diversité culturelle et à confier cette tâche à l’UNESCO. La France s’intéresse à cette question dans la mesure où elle veut être partie prenante dans le processus de réguler la mondialisation par les moyens de politique mondiale en faveur de la diversité culturelle. M. Jean Favier a évoqué le rôle pionnier de la Commission française dans ce débat et sa contribution aux événements tels que le colloque consacré au Rapport de la Commission De Cuéllar, Notre diversité créatrice (1998), le colloque intitulé Culture - une marchandise pas comme les autres ?(1999), le séminaire sur La diversité culturelle et le dialogue interculturel à Ljubljana (2004). Les activités de la Commission française sont orientées avant tout sur la préservation du patrimoine culturel, la promotion de la diversité culturelle à l’échelle nationale et internationale, la promotion de l’accès et de la participation du public à la vie culturelle. L’initiative conjointe des Commissions nationales française et polonaise s’inscrit dans le contexte du processus de l’élaboration de l’avant-projet de la convention, de l’élargissement de l’Union européenne et de la question de la place de l’Europe et de la culture européenne dans le monde. Les Assises se tiennent quelques jours après l’achèvement des travaux du groupe d’experts, et, compte tenu des craintes et des espoirs éveillés par l’élargissement de l’Union européenne, à un moment opportun pour essayer de répondre aux interrogations légitimes des citoyens et pour ouvrir largement le dialogue sur des questions de la diversité culturelle. Grâce à son implication dans le débat sur la diversité culturelle, la France peut fournir des réponses, toutefois la France, et la Commission française pour l’UNESCO se veut à l’écoute des pays pour lesquels la diversité culturelle est un enjeu non seulement culturel, mais également social, politique et même humain.
M. Jerzy K³oczowski a souligné que l’initiative conjointe des Commissions nationales française et polonaise est, au moment de l’ élargissement de l’Union européenne, de bon augure pour la coopération de la France et de la Pologne dans l’avenir. L’initiative d’organiser cette conférence conjointement n’est pas fortuite et a ses origines dans une tradition séculaire des bonnes relations entre les deux pays et dans leur attachement particulier à la protection de l’identité culturelle. Dans le cas de la Pologne, à l’époque des partages et aux moments où l’indépendance du pays était menacée, la lutte pour la préservation de l’identité culturelle était une lutte pour la survie. Dans la tradition européenne, la lutte pour la sauvegarde des cultures se faisait au nom du principe de la solidarité et de la fraternité. Cette lutte s’inscrit dans un contexte plus large du combat pour la liberté et de la défense des droits de l’homme. L’histoire du Moyen Age, l’Acte de la Confédération générale de Varsovie de 1573, ainsi que la résistance armée sous l’occupation nazie illustrent ce phénomène. La culture, aussi en sa dimension individuelle, est un antidote contre tout acte de barbarie. A part des régulations du droit international, il est important que des individus, des gens avisés s’engagent à réaliser en pratique la mission de la protection et de la promotion de la diversité culturelle fondée sur le respect de chaque culture. La question ne se situe pas uniquement sur le plan des politiques culturelles. Savoir cohabiter pacifiquement avec l’Autre et intégrer en soi des identités plurielles telles que l’identité nationale et européenne, relève du travail personnel.
M. Jakub T. Wolski, Sous-Secrétaire d’Etat au Ministère des Affaires Etrangères de Pologne a souhaité la bienvenue aux participants des Assises au nom du Ministre des Affaires Etrangères. En se référant à l’exemple de la reconstruction du Château Royal, il a souligné que, pour les Polonais, la sauvegarde de l’identité nationale dans son contexte de la diversité culturelle est d’une importance vitale. Il a fait remarquer que l’intégration européenne apporte à ses participants de nouveaux défis relatifs au besoin d’assurer à chaque culture un espace pour son développement et la possibilité de participer au progrès global et européen. Ainsi, la construction de la solidarité européenne devrait-elle se réaliser à travers le dialogue s’appuyant sur le principe fondateur de l’Union Européenne de « l’unité dans la diversité ». M. Jakub Wolski a mentionné que pour les Polonais il n’y a pas de contradiction entre la conscience d’être Européen et celle d’être Polonais. La diversité culturelle est devenue un principe des politiques culturelles reconnu universellement depuis l’adoption de La Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle. La Déclaration doit inspirer les Etats dans leurs politiques en matière de promotion et protection de la diversité culturelle. La décision de la 32e session de la Conférence générale de l’UNESCO concernant l’élaboration de la convention résulte du besoin de renforcer les dispositions de La Déclaration. Le processus d’aboutir à la convention ne sera pas facile, car de nombreuses questions et doutes demandent un débat approfondi. Des conférences telles que les Assises européennes de la diversité culturelle peuvent faciliter les négociations par l’atmosphère de compréhension mutuelle, de solidarité internationale et d’ouverture.
M. Frédéric Bouilleux, représentant du Ministre de la Culture de France s’est référé aux effets aussi bien positifs que négatifs de la globalisation. On doit à la globalisation la multiplication des échanges commerciaux et un accès plus large aux produits culturels. D’autre part, elle favorise des pratiques de concentration et mène à l’uniformisation. Afin de prévenir les effets négatifs, il convient de reconnaître la spécificité des biens et des services culturels. L’attribution d’un statut juridique spécial à des biens et des services culturels ne signifie pas pour autant qu’ils devraient être retirés des négociations menées au sein de l’OMC. Ce statut spécial pourrait être garanti par la future convention sur la diversité culturelle. Depuis longtemps, la France opte pour un tel instrument. La position officielle du Gouvernement français, élaborée suite aux consultations et en référence aux résultats des travaux du Réseau International des Politiques Culturelles, repose également sur deux autres prémisses. Il s’agit de reconnaître le droit des Etats à mener leurs propres politiques culturelles en vue de la protection et de la promotion de la diversité culturelle, ainsi que de renforcer les liens de solidarité internationale avec les pays en développement. Il reviendrait à chaque Etat de contribuer à lutter contre la fracture Nord-Sud en apportant son soutien au développement des pays en développement. La convention devrait engager les Etats Parties à mener des politiques culturelles actives, ce qui ne signifie aucunement que la convention devrait avoir un caractère protectionniste. Il est essentiel de la fonder sur des principes reconnus universellement tels que les droits de l’homme, la démocratie et le pluralisme des opinions et des cultures.
Mme Ma³gorzata Dzieduszycka, Directrice du Département de la Coopération Internationale et de l’Intégration Européenne au Ministère de la Culture, prenant la parole au nom du Ministre de la Culture de Pologne, a évoqué l’engagement de la Pologne dans les travaux du Réseau International des Politiques Culturelles. M. Waldemar D±browski, Ministre de la Culture de Pologne en présentait les résultats à M. Koïchiro Matsuura, Directeur général de l’UNESCO au nom des autres ministres participant au Réseau. En Pologne, on considère que la diversité culturelle peut servir d’antidote contre une culture uniformisée et médiocre. La future convention pourrait compléter l’approche de la Convention sur la protection du patrimoine mondial culturel et naturel en renforçant le message de l’UNESCO en faveur de la protection et de la promotion des cultures et du patrimoine à transmettre aux générations futures. Elle pourrait également encourager les pays à partager leur patrimoine avec les autres, surtout là où, comme en Europe centrale, sur un territoire sont présentes, pour des raisons historiques, de différentes traditions culturelles. La convention serait une proposition de co-existence pacifique entre de différentes cultures dans le monde entier, ayant un impact sur la construction de la compréhension mutuelle et du dialogue. Ceci est important aussi dans le contexte de l’intégration européenne qui mène à la disparition des frontières internes actuelles. Dès à présent, la culture compte de plus en plus en tant que facteur de cohésion sociale et référence identitaire fondamentale.
M. Kazimierz Kutz, en prenant la parole dans son double rôle de Vice-Maréchal du Sénat de Pologne et de représentant du milieu artistique, a évoqué des nombreux liens entre la politique et la culture. Il a souligné que l’histoire de la Pologne apporte des témoignages significatifs du rôle particulier de la culture dans la protection de l’identité nationale. Il a évoqué la politique éclairée de Stanis³aw August Poniatowski, le dernier roi polonais qui a créé des instruments de soutien à la culture qui ses sont avérés de grande importance dans la période d’après le partage de la Pologne en 1795. Cette politique a inculqué aux générations qui ont suivi une conviction que la culture joue un rôle crucial dans la vie du peuple polonais. Le testament du roi Stanis³aw August a été une invitation à penser la culture d’une manière moderne. Quand la Pologne n’existait pas comme Etat indépendant, ce testament était accompli par des artistes et des hommes de la culture qui détenaient « le règne des âmes » en ce temps-là. Paris est devenu un centre de la pensée politique et de la culture polonaise où la « Grande Emigration », la Bibliothèque Polonaise ou, au 20e siècle, Jerzy Giedroyæ et son milieu, développaient la vision de la Res Publica multiculturelle renouant aux traditions de la Dynastie des Jagellons. Malgré la perte de l’indépendance pour une très longue période, la Pologne a survécu grâce à la culture. M. K. Kutz a comparé cette situation avec la situation présente dans le domaine des politiques culturelles en Pologne qui, à son avis, devraient être plus actives. Les exigences dues à l’acquis communautaire ont permis de mettre en place des standards européens dans le domaine de la culture. Des solutions adoptées récemment dans le domaine de la protection du droit d’auteur sont des exemples de l’impact positif de l’intégration européenne sur la législation polonaise, mais beaucoup reste à faire. Il faut des mécanismes relatifs à la promotion de la culture (qui existent dans certains pays, comme p.ex. en France où des distributeurs des films de provenance étrangère contribuent à un fonds spécial en faveur du développement du cinéma français).
Mme Catherine Tasca, Envoyée spéciale du Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie a soulevé la question de concilier l’objectif de la préservation de la diversité culturelle avec l’accroissement des échanges commerciaux mondiaux. En se référant à l’élaboration de l’avant-projet de la convention internationale sur la diversité culturelle elle a attiré l’attention sur les objectifs du futur instrument juridique : faire reconnaître la double nature, culturelle et économique, du champ culturel, et, par conséquent, d’assurer à la culture une place particulière dans les relations internationales; de légitimer le droit des Etats à maintenir ou adopter des mesures en faveur de la diversité; de renforcer la coopération internationale de façon à ce que les pays en développement ne restent pas en dehors de ces échanges. La convention devrait servir de cadre de référence aux Etats et aux organisations internationales dans le domaine de la diversité culturelle. Il est important qu’elle soit élaborée avant les prochains accords de l’OMC afin que des questions culturelles puissent y être traitées selon la logique et les enjeux qui leur sont propres. Bien que des travaux sur la future convention progressent, beaucoup reste à faire afin de les mener à bien et de convaincre le maximum d’Etats de l’utilité particulière de cet instrument dans l’état actuel du monde où des questions prioritaires sont celles de la santé, de l’environnement et de l’emploi etc., et non pas celles de la culture. Ce travail d’explication devrait porter, selon la position de la Francophonie, sur trois points : 1) bien clarifier le concept de la diversité culturelle et ses enjeux; 2) affirmer la légitimité des politiques publiques; 3) ne pas aliéner la capacité d’agir de chaque pays pour la diversité culturelle. Mme Catherine Tasca a consacré beaucoup d’attention au concept de « l’exception culturelle », tout en évoquant le débat sémantique entre « exception culturelle » et « diversité culturelle ». Le concept d’ »exception culturelle » était voué à affirmer la spécificité du traitement du champ culturel par rapport à d’autres domaines, dans le cadre des négociations commerciales internationales. Il servait l’idée que toutes les parties prenantes devraient reconnaître comme évidence que les produits culturels ne sont pas des marchandises dans le même sens que les autres produits. Ainsi, contrairement à ce que l’on est porté à croire parfois, « l’exception culturelle » est un objectif universel. Le multilinguisme est une composante majeure de la diversité culturelle. Dans le cas des pays de la Francophonie, la protection et le développement de la diversité culturelle ne signifie pas seulement la protection de la langue qu’ils ont en partage, mais aussi celle de toutes les autres langues parlées dans ces pays. La question de la diversité culturelle est un problème de tous les peuples et de toutes les cultures qui doivent faire face à un large mouvement de globalisation. Ce thème a été traité par la Francophonie qui, avec d’autres aires linguistiques, et notamment avec les pays hispano- et lusophones s’engage dans la protection de la diversité culturelle, comme le montrent les conférences organisées conjointement en 2003 à Mexico et à Rome. Si la diversité culturelle doit perdurer non pas comme un musée, mais, tout au contraire, comme une partie d’un monde en changement, il faudrait préserver la possibilité de véritables politiques culturelles publiques. C’est la responsabilité et le droit des Etats et des gouvernements d’intervenir dans ce domaine. Leur intervention est indispensable car : la diversité culturelle ne se défend pas d’elle-même face aux puissances économiques et politiques; il y a de graves disparités dans le monde dans la circulation des biens et des produits culturels (plus particulièrement, les pays en développement sont peu présents dans les industries culturelles et dans l’échange culturel); l’avenir de la diversité culturelle n’est pas certain face à la mondialisation croissante, les menaces venant de concentration des industries culturelles, de création d’entreprises quasiment monopolistiques et de prédominance d’un modèle culturel. Dans le contexte des négociations menées au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce, il importe que les Etats s’abstiennent à s’engager dans la libéralisation dans le domaine des biens et des services culturels, et plus particulièrement dans le secteur audiovisuel. Cela leur permettra de maintenir la capacité d’agir en faveur de la diversité culturelle. Pour les pays de l’Europe centrale et orientale, aussi bien que pour les pays du Sud, il n’est pas facile à tenir un tel engagement. Cependant, l’essor de l’économie culturelle est considérable en termes de ressources et d’emplois. Chaque pays a le droit de participer à ce développement. Ouvrir sans limites son marché, c’est se mettre hors du marché. Dans ce sens, la bataille pour la diversité culturelle est un vrai « investissement ». Le débat engagé à l’UNESCO doit donc être mené dans chaque pays le plus largement possible.
Katerina Stenou, Directrice de la Division des Politiques Culturelles et du Dialogue Interculturel au Secrétariat de l’UNESCO à Paris a souligné que les travaux des experts sur le nouvel instrument du droit international devait s’accompagner d’un débat public sans lequel, comme cela s’est avéré à maintes reprises par le passé, la convention resterait lettre morte. Il est temps que les résultats des discussions menées jusque-là soient traduits dans le langage de la convention. Des experts ont à assumer une tâche difficile de trouver des termes justes censés de rendre des rapports adéquats entre le concept, le message et l’état de la législation actuelle tout en harmonisant des aspects philosophiques et économiques. L’identité culturelle, contrairement aux caractéristiques déterminées génétiquement, est de caractère dynamique. Cependant, il est important que des changements interviennent de telle manière qu’ils soient acceptés par les sociétés concernées. La globalisation non contrôlée peut affecter l’identification culturelle, ce qui mène au rejet des changements imposés de l’extérieur. Le repli des cultures sur elles-mêmes et la réaction sous forme de fondamentalisme peuvent en être des conséquences. Selon l’approche de l’UNESCO, la culture n’est pas à protéger comme des vestiges d’un musée. Il est important d’assurer les conditions qui favorisent son développement à travers le maintien des mécanismes de la diversité culturelle. La convention ne peut être un instrument d’une « nouvelle globalisation », ni servir de prétexte aux nationalismes. Ses dispositions devraient, en accord avec l’article 4 de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle, empêcher que la diversité culturelle ne soit utilisée à des fins telles que la violation ou la limitation de la portée des droits de l’homme. La convention ne devrait pas se limiter aux questions des quotas et des subventions mais elle devrait avoir une portée plus large tout en renvoyant au débat sur la condition de la culture (cependant, une sorte de manichéisme dans l’approche à la culture se manifestant par l’ignorance de la nature économique des biens et des services culturels doit être aussi évitée). La proposition de remplacer, dans le texte de la future convention, des termes contenus culturels et expressions artistiques par un terme plus général d’expressions culturelles exprime le souci d’assurer à cet instrument un vaste champ d’application. Le préambule de la convention devrait contenir un message culturel significatif reflétant la complexité de la question de la protection de la diversité culturelle dans le contexte du développement durable, du dialogue et de l’ouverture des cultures, dans l’esprit s’opposant au protectionnisme et faisant preuve du souci de servir la cause du développement de toutes les cultures. La convention devrait être un acte de solidarité avec les pays en développement. Elle aurait pour but de lutter contre l’ainsi dit « darwinisme culturel » selon lequel c’est le plus fort qui gagne. Il s’agit ici d’assurer que toutes les parties soient gagnantes. La convention doit fournir des indications claires quant à la manière de comprendre et de mettre en œuvre les principes évoqués dans son préambule. D’une part, il s’agirait des références de nature philosophique, de l’autre, des mesures concrètes qui contribuent à atteindre des objectifs de l’instrument. Leur formulation devrait s’harmoniser avec les dispositions relatives aux droits et aux obligations des Etats et avec d’autres actes du droit international et tenir compte de la future mise en oeuvre de la convention sur le plan national.
M. Kazimierz Krzysztofek, Directeur adjoint de l’Institut de la Recherche sur la Culture à Varsovie a constaté que malgré tous les processus qui ont eu lieu par le passé et se font remarquer aujourd’hui, la diversification des cultures persistera. Le monde est une structure complexe et se développe par flux, instabilité, désordre, discontinuité etc. Suite à la destruction des éléments de l’identité, à la dissolution des liens sociaux ou à la disparition des systèmes d’adaptation et des relations socioculturelles, les symboles qui protègent les gens contre l’uniformisation gagnent en importance. La diversité ne disparaît pas, mais des éléments souvent vitaux pour l’avenir de notre culture et civilisation qui la forment peuvent être détruits. Il serait fondé, avant de parler de la diversité culturelle, d’essayer de définir les vues communes sur la globalisation au début du 21e siècle. Nous ne savons pas réellement ce que nous partageons en termes de valeurs universelles. Après les actes du terrorisme et à l’époque des changements tumultueux, nous devons répondre à cette question afin d’avoir des bases solides pour analyser et essayer de prévoir des processus culturels globaux. Une autre question : pourquoi avons-nous besoin de la diversité culturelle? Tout d’abord, Varietas ludet et delectat, mais il y a aussi des valeurs et des besoins fonctionnels qui découlent de la diversité, tels que la créativité, le développement, la cognition, l’humanisation de la globalisation, la protection des systèmes de soutien à la vie. Quinze ans de transformation ont appris aux Polonais que les changements systémiques dans le domaine des banques, des finances, du libre marché etc. ne suffisent pas. Il faut des mécanismes permettant à chaque groupe de construire son image à partir de sa propre expérience et non seulement à partir des produits culturels d’importation. Lors de l’élaboration de la convention et de l’interrogation sur la diversité dont nous avons besoin, il faut faire face à quelques questions controversées, dont celle de la mauvaise diversité culturelle ou celle de la dignité et égalité des cultures. Pouvons-nous utiliser le terme même de « mauvaise culture »? La question, évoquée d’une façon très controversée et émotionnelle par Oriana Fallaci, est si nous pouvons traiter les autres (ou être traités par eux) à pied d’égalité quand on a affaire à une culture idiomatique qui n’est ni compréhensible ni comprise par les autres. D’autres questions controversées se posent : est-ce que le marché produit une bonne ou une mauvaise diversité; est-ce que la culture globale devrait être blâmée?
M. Mihály Ficsor, Président du Conseil Hongrois du Droit d’Auteur, a pris la parole en sa qualité de co-président du groupe d’experts convoqué par le Directeur général de l’UNESCO en vue d’élaborer un avant-projet de la convention. Tout d’abord, il a fait le point sur l’état actuel des négociations internationales, dont les étapes ont été marquées par les négociations du GATT et les accords dans le cadre du GATS. Les parties se sont mises d’accord sur des dispositions qui permettent d’introduire des quotas par rapport à l’industrie audiovisuelle et stipulent la protection des valeurs culturelles spécifiques grâce à la mise en place des conditions spéciales. Les experts réunis à Paris étaient d’accord que la future convention devrait aller au-delà du contexte des négociations menées à l’OMC ou en d’autres enceintes où les questions concernant la culture sont débattues principalement en termes d’économie et devrait se concentrer sur la question essentielle, à savoir sur la diversité culturelle. A présent, comme l’ont montré les travaux du groupe d’experts, le climat pour la prise des décisions de portée universelle est bien meilleur que pendant les débats tumultueux du Cycle d’Uruguay. Les défenseurs du principe de l’exception culturelle ne remettent pas en cause la nature économique des biens et des services culturels. Ceux qui jusqu’ici s’opposaient à la mise en place des régulations spéciales pour les biens et les services culturelles n’essayent plus d’éliminer les quotas et les subventions. Toutefois, il leur importe que les concessions n’aillent pas au-delà des régulations actuelles. Il est important pour le projet de la nouvelle convention que les mesures proposées soient adéquates aux objectifs à atteindre. Un juste équilibre est à établir entre la protection de la diversité culturelle, la préservation de l’ouverture des cultures et le souci d’éviter le protectionnisme. L’avant-projet de la convention non seulement affirme le droit des Etats à protéger les cultures sur le plan national, mais il les engage à veiller sur le développement des cultures sur le plan local. Dans l’avant-projet il y a également une disposition autorisant les Etats à intervenir lorsque la diversité se voit menacée ou demande le soutien.
M. Max Wyman, Président de la Commission canadienne pour l’UNESCO a déclaré que l’adoption de la convention sur la diversité culturelle reste une priorité pour le Canada, pays qui durant les dernières années, a manifesté à maintes reprises son engagement en faveur de la promotion du principe de la protection de la diversité culturelle. Le Ministre de la Culture du Canada a été hôte des rencontres du Réseau International des Politiques Culturelles. Le Gouvernement du Canada a créé un fond spécial de 350 000 dollars pour soutenir les activités de l’UNESCO dans le domaine de la diversité culturelle et en particulier l’organisation des réunions intergouvernementales lors desquelles les questions relatives à la future convention sont débattues. Le Gouvernement du Canada, conjointement avec les autorités du Québec et des autres régions, entreprend des actions en faveur de la diversité culturelle. Le Département des Affaires internationales, aussi bien que le Département du Commerce international se sont engagés dans la coopération avec l’UNESCO. La Commission canadienne pour l’UNESCO joue le rôle de coordinateur dans la coopération du Canada avec l’UNESCO. Un rôle particulier est joué par les organisations non gouvernementales, aussi bien nationales qu’internationales. L’une des principales ONG est le Réseau International de la Diversité Culturelle qui regroupe plus de 300 organisations d’une cinquantaine de pays. La position favorable du Canada envers la future convention vient de la conviction que cet instrument contribuera au renforcement des cultures. Et c’est dans les cultures que, à l’ère de la mondialisation, les communautés puisent leur fierté et leur identité. La diffusion des contenus culturels provenant des différentes cultures renforce le respect mutuel qui est la condition de la vie en paix et du développement durable. Trois principes sur lesquels le Canada fut fondé : le pluralisme, le fait de partager avec les autres et la coopération sont à l’origine de son actuelle position relative à la question de la diversité culturelle.
Mme Dorota Ilczuk, Présidente du CIRCLE, Directrice de l’Institut de la Recherche sur la Culture à Varsovie, s‘est référée au cadre institutionnel de la coopération culturelle en Europe en soulignant que nous sommes témoins de la création d’un nouveau système de coopération culturelle reposant sur les relations multilatérales dans lequel des acteurs très variés prennent part. L’ancien modèle reposait principalement sur les relations bilatérales. La coopération culturelle en Europe a évolué depuis des actions menées directement par les gouvernements jusqu’au soutien apporté par ces derniers aux initiatives proposées par des régions, des villes, des organisations non gouvernementales et le secteur privé. Les organisations internationales, globales, régionales ou sous-régionales telles que l’UNESCO, l’Union Européenne, le Conseil de l’Europe, le Groupe de Visegrad et le Conseil Nordique ont gagné en importance. Elles réalisent des tâches qui dépassent le cadre de la coopération bilatérale et élaborent des normes juridiques internationales nouvelles. L’établissement des nombreux réseaux de coopération culturelle qui ont trouvé leur place sur la carte de l’ Europe est un phénomène nouveau. Les politiques culturelles européennes obéissent au principe de subsidiarité qui stipule que la coopération se fasse à un niveau le plus bas possible. Le rôle des organisations internationales et des Etats serait de créer des conditions optimales pour le développement des industries culturelles, le développement de la coopération en réseaux, ainsi que pour l’engagement de la société civile et des milieux artistiques.
Tables rondes
Les débats se sont tenus en trois sessions parallèles :
1. De la Déclaration universelle de la diversité culturelle vers une convention.
Opportunités et limites de l’application du concept de la diversité culturelle.
2. Diversité culturelle et dialogue interculturel : la question des identités dans les sociétés contemporaines
3. Création artistique, créativité, engagements de l’artiste en faveur du bien public.
L’objet de la Table ronde 1 avait trait aux travaux menés au sein de l’UNESCO en vue d’élaborer l’avant-projet de la convention sur la protection de la diversité culturelle. A la 32ème session de la Conférence générale, les Etats membres ont décidé, à l’unanimité, de demander au Directeur général de présenter le projet de la future convention sur la protection de la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques lors de la prochaine session qui aura lieu en automne 2005. La future convention doit être une tentative d’intégrer, dans un instrument normatif, des domaines aussi variés et traités le plus souvent séparément que : la propriété intellectuelle, la protection du patrimoine, les droits des minorités, le pluralisme culturel, le développement des industries culturelles, la coopération culturelle internationale.
Les participants à la Table ronde 1 se sont interrogés sur le champ d’application de la future convention. Etant donné que la future convention doit être innovante, il importe d’assurer sa compatibilité avec les régulations juridiques internationales existantes. L’une des fondamentales questions débattues lors de la Table ronde 1 était la place de la future convention par rapport aux solutions juridiques existantes et aux négociations actuelles au sein des autres organisations internationales, telles que l’Organisation mondiale du commerce ou l’Union européenne. Le Rapport du débat de la Table ronde 1 se trouve en annexe (No 1).
L’objectif du débat de la Table ronde 2 était d’essayer de répondre à la question de quelle manière la future convention sur la protection des contenus culturels et des expressions artistiques pourrait-elle contribuer à résoudre les problèmes qui se posent suite à l’intensification des contacts entre différentes cultures et à la prolifération des sociétés multiculturelles. Les participants ont discuté sur le phénomène des identités plurielles, de l’assimilation et de l’intégration sociale, de la lutte contre les processus d’exclusion et de marginalisation des cultures minoritaires. Ils ont échangé des opinions et des expériences sur les moyens d’assurer des conditions qui favorisent aussi bien la préservation et le développement de la diversité culturelle que la cohésion des Etats.
Il a été souligné à maintes reprises que la spécificité européenne repose sur le principe adopté dans le projet du Traité Constitutionnel de l’Union européenne, celui de l’unité dans la diversité, l’accent étant mis sur la diversité. Il a été reconnu que la globalisation est un phénomène qui produit aussi bien des effets négatifs que positifs. Il dépendra de la politique des Etats, de l’activité de la société civile et de la solidarité internationale si les effets négatifs pourront être atténués. La protection et la promotion de la diversité culturelle est une proposition d’antidote contre les risques dont le 21ème siècle est porteur. Le Rapport de la Table ronde 2 se trouve en annexe (No 2).
Le débat de la Table ronde 3 était consacré à la condition actuelle de l’artiste et aux enjeux des politiques culturelles afférentes. La double nature des biens et des services culturels y a été évoquée. Il a été reconnu que les biens et les services culturels ne pouvaient pas être traités comme des simples biens et services de consommation, mais devraient faire objet d ‘une protection juridique particulière. Il a été également souligné que la mission de créateur devrait se voir reconnue par des dispositions de la loi nationale, en particulier celles du droit d’auteur, ainsi que par la mise en place d’un cadre juridique et des conditions favorables à l’investissement dans le secteur de la culture. Le Rapport de la Table ronde 3 se trouve en annexe (No 3).
Séance plénière de clôture
Les rapports des trois Tables rondes ont été présentés lors de la séance de clôture par leurs auteurs qui sont, respectivement, M. Hadrien Laroche, conseiller culture à la Commission nationale française pour l’UNESCO, Mme Madeleine Viviani, Secrétaire générale de la Commission suisse pour l’UNESCO et M. Chérif Khaznadar, Président du Comité de la culture de la Commission nationale française pour l’UNESCO. Les Assises ont démontré le besoin d’une éventuelle coordination qui situerait les Commissions nationales pour l’UNESCO dans le processus du débat sur la future convention. La conférence a confirmé le besoin de mobiliser des créateurs, des milieux intellectuels, des représentants du monde de la culture, de la politique et des affaires en faveur des politiques culturelles efficaces. M. Tomasz Or³owski, Secrétaire général de la Commission nationale polonaise pour l’UNESCO, qui présidait la séance de clôture, a proposé de prendre en considération la possibilité de continuer le débat régional qui s’est déroulé à Varsovie. La création d’un forum virtuel international de discussion pourrait, par exemple, servir d’espace où se prolongeraient des consultations avec la participation des milieux artistiques et intellectuels. Il a été également proposé de créer un groupe de travail composé des représentants des commissions nationales pour l’UNESCO. Il aurait pour tâche de suivre les travaux relatifs à la question de la diversité culturelle menées au sein d’autres organisations, telles que : RIPC (Le Réseau International de La Politique Culturelle), INCD (Réseau International de la Diversité Culturelle), OIF (Organisation Internationale de la Francophonie), ainsi que les coalitions nationales pour la diversité culturelle. Il a été suggéré que des rencontres périodiques de coordination puissent se tenir à Varsovie pour mener éventuellement, à long terme, au lancement d’un observatoire régional de la diversité culturelle. Conformément aux souhaits exprimés lors de la discussion, ces propositions ont été, avec un amendement, soumis à toutes les Commissions nationales pour l’UNESCO de la région d’Europe et d’Amérique du Nord réunies à Zurich du19 au 24 juin 2004. Le texte des « Conclusions » fut rajouté en tant qu’annexe au Rapport final de la Conférence à Zurich. Dans le présent rapport il figure en tant qu’annexe No 4.